Société

Michel Soukar ou la tentation de la fabrication d’un sauveur

Il faut se mettre d’accord sur une chose en observant les dynamiques sociales décelées dans la société haïtienne actuelle : les gens sont fatigués. Fatigués de la stagnation économique et politique qui les a tant désespérés. Les Haïtiens sont également fatigués d’un seul discours prononcé dans la presse par des personnalités qui monopolisent les stations de radio. La soupe radiophonique exercée irrite. Les recherches se font sur la meilleure façon de donner la parole à de nouvelles personnalités, principalement des jeunes, tout en valorisant les anciennes personnalités qui ont été réduites au silence sur les actions qu’elles posent et le discours qu’elles portent. On est en quête de nouvelles narrations, des narrations constructives cette fois-ci. C’est dans cette optique que l’attention est portée sur Michel Soukar, historien, écrivain et journaliste. Sa présence est requise un peu partout. Beaucoup l’écoutent, qu’ils soient d’accord ou en désaccord.

Le lundi 27 Février, dans une Space de Twitter, un Executif talk animé par Carel Pedre et Marc Alain Boucicaut a accueilli dans une interview qui a duré plus de 2 heures, Michel Soukar. De son ton habituel, il analyse à la lumière des faits historiques la réalité haïtienne et répond à diverses questions qui lui ont été posées. En pleine tournée pour la promotion de son nouvel ouvrage sur la Doctrine de Monroe et les autres textes de Joseph Jolibois Fils, Michel Soukar parle de la crise de citoyenneté et de modèle dans la société haïtienne pour les jeunes qui sont en pleine évolution. Selon l’historien, le pays a fait le choix de l’ignorance et de la médiocrité. C’est ce qui justifie l’état de déliquescence dans lequel il est plongé. Le paradoxe est grand, car ce pays qui a fait ce choix est un pays qui a vu naître Charéron, Firmin, Hannibal Price, Jacques Stephen Alexis, Jacques Roumain pour ne citer que ceux-là.

La collection Textes Retrouvés qu’il dirige depuis maintenant 11 ans dans les Éditions C3 est une occasion, une chance de faire connaître les pensées et les propositions de ceux et celles qui ont subi le choix de l’ignorance. Et dire que les propositions, les avertissements ont été légion. Chaque présentation d’un nouvel ouvrage de la collection est une occasion pour l’historien de faire le point sur la politique en Haïti.

Michel Soukar est devenu célèbre pour deux déclarations. La première sur la situation sécuritaire où les gangs armés dominent violemment l’espace haïtien. Ceux-ci, comme l’a prévu Soukar à la lumière des faits historiques passés, captent la population soumise à leur volonté. Ils donnent la permission de sortir ou empêchent l’entrée des personnes dans des espaces qualifiés par la ministre de la Justice Émelie Prophète de territoires perdus. Lors de cette affirmation, l’action violente de ces groupes armés était en pleine progression. Maintenant, le constat est tristement fait. Ses prévisions sont en pleine confirmation. L’autre déclaration concerne Dessalines et les autres pères de la patrie qui se sont affrontés sur la question de la propriété post-coloniale. Dessalines est victime de ces machinations politiques. Ces personnalités historiques ont construit un pays pour eux tout en excluant la majorité émergée des luttes pour la libération nationale. Ils ont mis en place un État qui non seulement maintient cette organisation sociale mais aussi la dépendance aux grandes puissances coloniales. Ce projet de société, toujours selon l’historien, est arrivé à son terme. De ce fait, il faut une organisation pour embrasser la ferveur révolutionnaire actuelle dans le pays pour la rupture avec cet ordre injuste.

Il faut remarquer que Soukar fait objet malgré lui d’une transformation en sauveur de la nation. D’où plusieurs demandes de plus d’implications politiques. Le déficit idéologique, la méfiance des organisations politiques, amènent le peuple vers la séduction populiste de gauche comme de droite. Soukar a toujours combattu cette tendance. Demander à Soukar de faire de la politique, c’est mal comprendre la politique. Ce n’est pas le fait de briguer un poste électif et nominatif qui fait de quelqu’un un homme politique, mais toute action, petite ou grande, orientée vers le bien commun pour tous. De ce fait, de sa militance depuis les années 73 à la direction de la collection Textes Retrouvés, il n’y a pas plus politique comme implication.

Il est temps que les Haïtiens comprennent que c’est un projet social qui combat un autre, et que c’est par l’organisation comme instrument stratégique et le temps que les changements viendront. Il faut avant tout être citoyen, connaître son histoire et s’impliquer pour le bien commun. C’est l’héritage que la génération des années 60 laisse aux acteurs actuels. Une génération dont Soukar fait partie.

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